If we have the courage, maybe we can close our eyes tonight and go to sleep.
Yes, tonight it will take a lot of courage to close our eyes. The courage to face our oldest nightmares. The ones our mothers and grandmothers had under colonial rule.
My own grandmother used to tell me that women had to make themselves ugly with whatever they found (coal, ashes...) so as not to attract the eye of predatory soldiers during searches and raids.
The fear of rape left no room for dreams.
But we were colonized.
In the evening, we learned that women activists from the MDS* and the RAJ** organization had been humiliated at the Baraki police station on the outskirts of Algiers. Their naked bodies were handed over to predators in a police station. The stripping naked of a body for the purposes of a search is the ultimate humiliation. The executioner's admission of weakness.
We're going to fight to bring the police officers in question to justice. But that's not enough. We are left with an ugliness on our skin. This power has been raping us since 1962. No matter how many times we wash off its filth, it sticks to our skin.
On Friday, in the streets of Algiers, I could see the joy of the women, the strength of their cries, but I could also hear them whispering their fear.
On Saturday, the accused activists just wanted to stand on the steps of the Grande Poste, the podium of freedoms.
This morning, I went there, but again it was impossible to stay. Police were surrounding the square.
I visited a small philatelic museum in one of the wings of the building where, a few meters away from repression, our history hangs on the wall from 1962 to 2017.
I put this question to a small painting by Baya that was used for a 1969 stamp: "What do you think, dear Baya, of what's going on?"
I think her answer is: tonight we stop sleeping.
And we will continue to dream of our freedoms until we achieve them.
Thank you to the activists who shout.
Their screams will cover the injustices.
*Democratic and Social Movement
**Youth Action Rally
Si nous avons le courage, nous pourrons peut-être fermer les yeux cette nuit et nous endormir.
Oui, cette nuit, il nous faudra beaucoup de courage pour fermer les yeux. Le courage d’affronter nos plus vieux cauchemars. Ceux que nos mères et grand-mères ont vécus jadis sous la colonisation.
Ma propre grand-mère me disait que les femmes devaient s’enlaidir avec ce qu’elles trouvaient (charbon, cendres...) pour ne pas attirer l’œil des militaires prédateurs au moment des fouilles et des perquisitions.
La peur du viol ne laissait pas de place aux rêves.
Mais nous étions colonisés.
Nous avons appris dans la soirée que des femmes militantes du MDS* et de l’organisation RAJ** furent humiliées au commissariat de Baraki, dans la banlieue d’Alger. Leurs corps donnés nus comme du gibier aux prédateurs dans un poste de police. La mise à nu d’un corps pour les besoins d’une fouille est l’ultime humiliation. L’aveu de faiblesse du bourreau.
Nous allons nous battre pour que les policiers en question soient jugés. Mais cela ne suffit pas. Il nous reste comme une laideur sur la peau. Ce pouvoir nous viole depuis 1962. Nous avons beau nous laver de ses crasses, elles nous collent à l’épiderme.
Vendredi, je voyais dans les rues d’Alger la joie des femmes, la force de leurs cris, mais je les entendais chuchoter leur peur, leur crainte.
Samedi, les militantes inculpées voulaient juste être debout sur les marches de la Grande Poste, le podium des libertés.
Ce matin, je m’y suis rendu, mais à nouveau impossible d’y rester. Les policiers encerclent le parvis.
J’ai visité un petit musée de la philatélie dans une des ailes du bâtiment où, à quelques mètres de la répression, notre histoire est accrochée au mur de 1962 à 2017.
J’ai posé cette question à une petite peinture de Baya qui servit pour un timbre de 1969 : «Que pensez-vous, chère Baya, de ce qui se passe ?»
Je pense que sa réponse est : cette nuit nous arrêtons de dormir.
Et nous continuerons de rêver de nos libertés jusqu’à les atteindre.
Merci aux militantes qui crient.
Leurs hurlements couvriront les injustices.
*Mouvement démocratique et social
**Rassemblement Action Jeunesse
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