I'd have to visit the sunflowers at night; it's said that they spend the day listening to secrets, and when night falls, they deliver them to whoever can hear them...
Perhaps they'll tell me about my tragedy - or is it my happiness? - to accept being struck by what's coming. On this Friday of the denouement, it's vital to get back to reality and abandon our pipe dreams. We have been absent from the world far too long. And strangely enough, we have forgotten to dream.
We know that Algeria will triumph in one way or another, but it is certain that it will demand, as usual, the sacrifices of a lifetime to remain eternal.
We are hanging on the injustice of a December 12, 2019: the scenario is so weak that it appears laughable, grotesque even. Unfortunately, we live in a world that revels in its sad insignificance. The danger is not even in the election of a scarecrow pretending to be president. The danger lies elsewhere.
Far beyond the horizon lurks our reality, that of a people isolated from the world, to whom patriotic lullabies are sung and who are promised nightmares disguised as fantasies, the most important of which is none other than that of being dominated. How else can we believe that the pleas for submission heard in presidential candidates' speeches about housewives - to name but one monumental piece of nonsense - resonate with any of them?
Our cries aren't enough, and our young people don't want to cry any more. We know they're not like us, involuntarily tragic and painfully romantic (how else could we wipe away our tears from the 1990s?). These young people want to live the carefree life necessary for freedom, to experience a happy romance to the point of syncopation. And they don't even ask for help to do it. They don't even want a travel card for their epic desires. What they do want is to take the wrong road when encountering the unexpected.
Those who govern us turn in on themselves without the dervish's quest for the heavens or the joyful intoxication that makes us forget our fears. On the contrary, they are nothing but fear. They are nothing but violence to keep on being afraid. Repression in Algeria is set to intensify. After December 12, it will become legal again, because we have, against all odds, a legalist army. It has to constitutionally sign off on injustice. We are the "conscripts of the contingent", summoned to live out our imprisonment legally and, if possible, willingly. Otherwise, the rape of consciences is authorized. In fact, I don't even know if we still have the strength to remember the consent required to "live", so much has this power violated us since 1962.
So what's to be done? some ask.
Keep marching, that's for sure.
Keep shouting, that's vital.
Continuing to militate is the only destiny.
But more than that, we need to learn to dream again.
Because to date, we haven't had the courage to dream of an egalitarian Algeria, an Algeria where women are finally equal to men.
We need to dream of a feminist democracy.
Deeply feminist.
Unconditionally feminist.
A democracy that judges us every day on the one and only question worth asking: women's freedom.
The rest, whether the flag is the colors of the rainbow flag, whether the borders should be opened or closed, whether new elections should be prepared or a constituent assembly held... all this will remain secondary in the face of this founding decision of any form of future.
Many will dwell on the word "feminist" as if to absolve themselves, or to return the term to its hints of a colonialist Northern Mediterranean.
To those, I remind you that Algerians are the heirs of a heroine: Kahina.
Acceptance of this fully egalitarian condition, with no restrictions or exceptions between men and women, is fundamental in more ways than one. As men and women, we need to remember our fetal condition. If sex is determined at the moment of fertilization, differences will only become apparent after the first heartbeats. From that distant memory of the first sounds of our intra-uterine sojourn, in that space of indecision of becoming male or female, we retain the desire, the need, the obsession of the journey to the other. This self that has become so different, so distant, so opposed, and so violently beautiful in its difference. And then we'll have to resist our collective memories, which smash us with social, political, cultural or religious determinisms, digging a fertile difference into the abyss of our misunderstandings and, it has to be said, our cowardice.
Our cowardice in never admitting the violence done to women: the physical and moral constraints exerted against them to incite them, to subjugate them to carry out acts they do not choose. Our societies consciously and unconsciously turn women into receptacles for our deepest cruelties.
Only on that day when equality between men and women forms the foundation of our future, will we be able to wake up from our dream and build a reality where freedom of belief is founded on the equality of beliefs, where freedom of expression is founded on the equality of our expressions, where freedom is founded on the equality of all freedoms...
But in the meantime, let's have the courage to dream that a woman is the equal of a man.
Only in dreams can we cultivate the real that lasts.
Il faudrait que je rende visite aux tournesols la nuit ; il paraît qu’ils passent la journée à écouter les secrets et, qu’à la nuit tombée, ils les livrent à celui ou celle qui sait les entendre...
Peut-être me parleront-ils de mon drame – ou bien est-ce mon bonheur ? – d’accepter d’être heurté par ce qui vient. En ce vendredi du dénouement, il devient vital de rejoindre le réel et d’abandonner les chimères. Nous n’avons que trop été absents du monde. Et étrangement, nous avons, de ce fait même, oublié de rêver.
Nous savons que l’Algérie triomphera d’une manière ou d’une autre, mais il est certain qu’elle réclamera, comme à son habitude, les sacrifices d’une vie entière pour demeurer éternelle.
Nous sommes suspendus à l’injustice d’un 12 décembre 2019 : le scénario est tellement faible qu’il apparaît risible, grotesque même. Malheureusement, nous habitons un monde qui se complaît dans sa triste insignifiance. Le danger n’est même pas dans l’élection d’un épouvantail faisant mine d’être président. Le danger est ailleurs.
Bien au-delà des horizons se cache notre réalité, celle d’un peuple isolé du monde, à qui l’on chante des berceuses patriotiques et à qui l’on promet des cauchemars déguisés en fantasmes, dont le plus important n’est autre que celui d’être dominé. Sinon comment croire que les plaidoyers de soumission, entendus dans les discours des candidats à la présidentielle à propos des femmes au foyer – pour ne citer que cette bêtise monumentale – trouvent écho chez les uns et les unes ?
Nos cris ne suffisent pas et nos jeunes ne veulent plus pleurer. Ils ne sont pas comme nous, involontairement tragiques et douloureusement romantiques, nous le savons (sinon comment essuyer nos larmes des années 1990 ?). Ces jeunes veulent vivre dans l’insouciance nécessaire aux libertés, expérimenter un romantisme heureux jusqu’à la syncope. Et ils ne réclament même pas d’être aidés pour ça. Ils ne veulent même pas de carte de voyage pour l’épopée des désirs. Ce qu’ils veulent, c’est faire fausse route à la rencontre de l’imprévu.
Ceux qui nous gouvernent tournent sur eux-mêmes sans la quête des cieux du derviche ni l’ivresse joyeuse qui fait oublier les peurs. Au contraire, ils ne sont que peur. Ils ne sont que violence pour continuer à avoir peur. La répression en Algérie va s’intensifier. Après le 12 décembre, elle redeviendra légale, car nous avons, contre toute attente, une armée légaliste. Il lui faut signer constitutionnellement l’injustice. Nous sommes les «appelés du contingent», sommés de vivre notre emprisonnement légalement et de manière consentante si possible. Dans le cas contraire, le viol des consciences est autorisé. Je ne sais d’ailleurs même pas si nous avons encore la force de nous souvenir du consentement nécessaire au «vivre», tellement ce pouvoir nous viole depuis 1962.
Alors que faire ? demandent les uns et les unes.
Continuer à marcher, c’est certain.
Continuer à crier, c’est vital.
Continuer à militer, c’est le seul destin.
Mais plus encore, nous devons réapprendre à rêver.
Car à ce jour, nous n’avons pas eu le courage de rêver cette Algérie égalitaire, une Algérie où la femme serait enfin l’égale de l’homme.
Il nous faudrait rêver une démocratie féministe.
Profondément féministe.
Inconditionnellement féministe.
Une démocratie qui nous juge chaque jour sur la seule et unique question qui vaille d’être posée : la liberté des femmes.
Le reste, si le drapeau est aux couleurs du rainbow flag, s’il faut ouvrir les frontières ou les fermer, préparer de nouvelles élections ou faire une assemblée constituante… tout cela restera secondaire face à cette décision fondatrice de toute forme de futur.
Beaucoup s’attarderont sur le mot «féministe» comme pour vouloir se dédouaner, ou encore renvoyer le terme à ses relents d’un au-delà d’une Méditerranée du nord colonialiste.
À ceux-là, je rappelle que les Algérien·ne·s sont les héritiers d’une héroïne : Kahina.
L’acceptation de cette condition pleinement égalitaire et sans aucune restriction ni exception entre les hommes et les femmes, est fondatrice à plus d’un titre. À nous, hommes et femmes, il nous faut nous rappeler notre condition fœtale. Si le sexe est déterminé dès la fécondation, les différences n’apparaîtront qu’après les premiers battements du cœur. De ce souvenir lointain des premiers bruits de notre séjour intra-utérin, dans cet espace de l’indécision d’un devenir homme ou femme, nous gardons le désir, le besoin, l’obsession du voyage à l’autre. Ce nous-même devenu si différent, si éloigné, si opposé, et si violemment beau dans sa différence. Et par la suite, il nous faudra résister à nos mémoires collectives qui nous fracassent à coup de déterminismes sociaux, politiques, culturels ou religieux, creusant une différence fertile pour en faire le gouffre de nos incompréhensions et, il faut le dire, de nos lâchetés.
Nos lâchetés à ne jamais admettre les violences faites aux femmes : ces contraintes physiques et morales exercées contre elles pour les inciter, les assujettir à réaliser des actes qu’elles ne choisissent pas. Les femmes que nos sociétés transforment, consciemment et inconsciemment, en réceptacles de nos plus profondes cruautés.
Ce n’est qu’à ce jour où l’égalité entre les hommes et les femmes formera le socle de notre futur, qu’alors nous pourrons nous réveiller de notre rêve, pour construire un réel où la liberté de croyance est fondée sur l’égalité des croyances, où la liberté d’expression est fondée sur l’égalité de nos expressions, où la liberté est fondée sur l’égalité de toutes les libertés…
Mais en attendant, ayons le courage de rêver qu’une femme est l’égale d’un homme.
Il n’y a que dans le rêve que se cultive le réel qui dure.
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